Dessine-moi un espace public

Démarche pédagogique avec une cohorte d’enfants de l’école Pasteur de 2015 à 2017

L’Origine du projet

Le quartier Mermoz (Lyon  8e) a été construit à la fin des années 50 pour loger, à l’origine, les rapatriés d’Algérie puis les travailleurs immigrés qui logeaient dans les bidonvilles de Gerland (Lyon 7e).

Dans les années 90, un premier projet de rénovation urbaine remodèle en partie le quartier.

Depuis 2015, il fait l’objet d’un projet urbain destiné à être financé dans le cadre du nouveau plan de rénovation urbaine (NPNRU).

En 2015, la chargée de mission de gestion sociale et urbaine de proximité de la Ville de Lyon nous met en contact avec le directeur de l’école pour imaginer un projet autour de la rénovation urbaine.

 

Le partenariat

Robins des Villes intervient depuis décembre 2015 dans 3 classes de l’école Pasteur, dans le Quartier Mermoz (8e arrondissement de Lyon). C’est un projet pédagogique qui est porté par l’école, l’association, la Métropole de Lyon via le plan d’éducation à l’environnement et au développement durable et la Ville de Lyon.

L’objectif de l’ensemble des partenaires et de poursuivre une démarche sur plusieurs années, avec les mêmes enfants en suivant leur développement, le programme scolaire et le rythme du projet urbain.

 

Les objectifs généraux

Mettre l’enfant au cœur de la démarche

  • C’est un projet de cohorte qui est mis en œuvre : c’est-à-dire, un projet qui se poursuit sur plusieurs années scolaire avec les mêmes enfants. Ce type de démarche permet, au fil du temps, de mieux connaitre les enfants, les enseignants et le fonctionnement d’une école et ainsi de s’adapter au développement des enfants et à leurs envies et questionnements, d’une séance à l’autre et d’une année à l’autre ;
  • La démarche vise à développer des compétences sociales (exprimer ses idées, argumenter, débattre, faire des compromis, prendre des décisions collectivement)…
  • …mais aussi des compétences individuelles (développer son imaginaire, acquérir du vocabulaire, travailler l’expression orale et écrite)

 

Apprendre sur la ville : utiliser les transformations urbaines comme support pédagogique

  • La démarche a pour objectif de faire comprendre aux enfants les mécanismes urbains: organisation urbaines, métiers de la ville et jeux d’acteurs, conception et fonctionnement d’un espace public etc…
  • Enrichir la connaissance des aménagements urbains dans le monde
  • Au-delà des enjeux de compréhension et de connaissance, nous amenons aussi les enfants à exprimer et partager leurs représentations de la ville. Nous souhaitons ainsi explorer la part subjective de ce qui constitue une ville et mettre en place un apprentissage mutuel

 

Apprendre sur sa ville, son quartier

  • Apprendre à se repérer in situ et grâce à des supports cartographiques
  • Acquérir des clés de compréhension des transformations en cours dans le quartier
  • Partager ses ressentis et ses aspirations pour la ville et le quartier de demain

 

Apprendre par la ville

  • Construire son comportement et acquérir ses droits de citoyen : interpeler les élus, dialoguer avec des techniciens (urbanistes, cheffEs de projet urbain…)

 

 

Le projet est pensé pour se dérouler sur plusieurs années avec un double objectif :

  • Se servir des transformations urbaines comme support pédagogique
  • Nourrir le projet urbain de la réflexion des enfants

 

Vous allez à présent entrer plus en détail dans les deux premières années du projet.

 

2015-2016 // Année 1 : grande enquête des espaces publics de Mermoz

 

Le contexte

Le projet urbain est à l’étape du diagnostic de territoire. Robins des Villes propose de coller à la temporalité du projet en menant, avec les enfants, une grande enquête pour faire émerger leurs représentations et leurs usages du quartier tout en leur donnant des clés de compréhension sur la ville et les espaces publics.

C’est alors le début d’une démarche menée avec 70 enfants de 5-6 ans, répartis en trois classes de CP de l’école Pasteur.

 

Première étape, poser les bases : comment une ville fonctionne ? De quoi est-elle constituée ? Comment répond-elle à nos besoins que l’on soit un enfant, un chien, une personne âgée, salarié de la poste ou chauffeur-livreur ? Dans cette perspective, l’association dégaine son outil fétiche : la maquette urbaine modulable[1] (ensemble de mousses de couleurs auxquelles correspondent des fonctions urbaines telles que l’habitat, le commerce, les services publics…) pour que les enfants s’essayent à construire une ville fonctionnelle. [1] Outil issu de la valisette urbanisme de la Ville en valise, outils pédagogique à la Ville développé par l’association

 

Construction d’une ville fonctionnelle en petits groupes. En jaune : les logements, en rouge les commerces, en orange les services publics…

Une fois les villes achevées, chaque groupe présente aux autres groupes sa ville et son fonctionnement. 

 

Deuxième étape : centrer la réflexion sur les espaces publics

 

Les enfants, encore une fois, s’essayent, après avoir repérer les éléments récurrents d’un espace public en comparant des photographies des quatre coins du monde, à la conception d’un espace public avec un cahier des charges.

 

Troisième étape : Se plonger dans le passé, pour repérer les différences entre les espaces public du quartier photographiés lors des derniers travaux de rénovation, dans les années 1990 et ceux d’aujourd’hui.

L’objectif était d’amener les enfants à travailler les notions temporelles pour comprendre que le quartier, depuis sa construction a été transformé et qu’il va l’être à nouveau.

C’est en effet à cette étape que les enfants apprennent que leur quartier va à nouveau connaître une grande période de transformations dont ils vont être acteur en réalisant un diagnostic des espaces publics de leur quartier pour faire connaître aux architectes, urbanistes, élus, ce qui pour eux devrait être conservé ou amélioré dans les années à venir.

 

Quatrième étape : place à l’enquête !

 

Les enfants sortent leur loupe de détective. À partir d’indices laissés par des passants (tickets de métro, ticket de marché, reste d’un goûter, cahier d’écolier oublié…), ils déduisent les usages qui existent sur chacun des espaces publics du quartier. On joue alors des reconstitutions de ces scènes de vies et les enfants donnent leur avis sur ces espaces (qualité des jeux, adaptation à l’âge, revêtements de sols…). Le but de cette enquête est de développer leurs qualités d’observation de l’espace public, d’exprimer leurs usages et leurs avis pour nourrir le diagnostic mené au même moment par un bureau d’étude (Bazar urbain et Wza) sur le quartier.

 

Dernière étape : les enfants partagent leurs impressions et écrivent leurs aventures pour constituer un roman-photo de la démarche. Le Roman-photo géant constitue une exposition pour la fête de l’école. Les observations et attentes des enfants sont consignées et intégrées dans le diagnostic des usages mené sur le quartier.

En plus de cette analyse, une classe de CM1-CM2 avec qui nous menons un projet en parallèle, a réalisé un questionnaire destiné à recueillir l’avis d’autres enfants, en l’administrant dans les autres classes, et des parents, lors de la fête de l’école. Un autre outil a été utilisé durant la fête de l’école pour recueillir les avis des parents : une carte sur laquelle les parents d’élèves et les élèves étaient invités à ajouter des anecdotes, souvenirs et souhaits pour les espaces du quartier…

 

 

2016-2017 // Année 2 : Contes du quartier et mission d’architecte

 

Le contexte

Nous retournons l’année suivante dans les trois classes de CE1 de l’école Pasteur où nous retrouvons les 70 enfants de l’année précédente. Cette fois, l’heure n’est plus au diagnostic mais à l’utopie. Toujours centrés sur les espaces publics du quartier, les enfants vont avoir à imaginer des propositions pour améliorer les aires de jeux du quartier sans se brider. Cette année, tout est permis ! Un webdocumentaire qui retrace la démarche est accessible en cliquant ici !

 

Pourquoi des aires de jeux ?

L’idée de travailler sur les aires de jeux est issu des résultats du diagnostic menés avec les enfants l’année précédente. Les principaux éléments qui ressortaient étaient des aires de jeux pensées uniquement pour les plus jeunes (3-5 ans), trop petites et dégradées, ouvertes sur la voierie et ses dangers, terrain privilégié des conflits d’usages (les enfants nous racontaient trouver de la drogue dans les jeux. Nous avons appris par la suite que les aires de jeux étaient en effet des caches privilégiées pour les dealers du quartier).

De plus, la temporalité du projet urbain (début de la phase de programmation) et la conviction des techniciens de la Ville et des élus du 8e arrondissement dans l’intérêt d’un projet pédagogique parallèle au projet urbain, nous assurait la possibilité d’intégrer les idées des enfants dans la réflexion sur les espaces publics du quartier dans le cadre du projet urbain.

 

Pourquoi l’utopie ?

Nous partons d’un constat : l’imaginaire n’est pas un acquis mais une phase du développement de l’enfant environ entre 2 et 6 ans et qui lui sera utile  tout au long de la vie[1]. Selon P. L. Harris, le développement de l’imagination contribue à développer les capacités sociales telles l’empathie, en permettant de se mettre à la place de l’autre. De plus, toujours selon Harris, nous n’utilisons pas uniquement notre imaginaire dans des situations de créativité mais aussi pour trouver des solutions, pour anticiper le futur.

Dans le cas de notre démarche, nous souhaitons mobiliser les capacités à imaginer des enfants justement pour trouver des solutions pour le futur puisqu’il s’agit d’imaginer les futurs espaces publics du quartier de manière idéale, utopique.

De plus, nous nous sommes rendu-compte, suite à la première année de travail avec ces enfants et par le dialogue avec les enseignants qu’ils éprouvent des difficultés à se projeter, à inventer, à s’extraire du quotidien. Nous avons donc particulièrement souhaité travailler ces questions sur l’année 2016-2017.

Dans cette perspective, nous nous appuyons sur un postulat : le développement de l’enfant est fortement soumis aux inégalités sociales[2]. Les enfants dont le milieu social permet d’être mobiles dans la ville (jouer dans de multiples aires de jeu, se promener dans la nature, connaître plusieurs quartiers, plusieurs ambiances urbaines), voire de voyager (visiter d’autres villes, d’autres pays) possèdent un imaginaire plus nourri et parviennent sans mal à se dégager du quotidien, des idées entendues des adultes pour imaginer. Au contraire, des enfants peu mobiles et peu sollicités (peu de lecture, d’histoires, de chansons au quotidien) ont beaucoup plus de mal à s’extraire de l’existant, du connu, du quotidien pour inventer, imaginer.

Nous avons donc, dans cette deuxième année de démarche, adapter nos outils pour nourrir un travail leur permettant de se construire des références et de s’extraire de la réalité : lecture d’histoires, invention d’histoires, observations de photographies du monde, visites d’aires de jeux d’autres quartiers…

 

Bienvenue dans la seconde année de la démarche avec les enfants de l’école Pasteur, en CE1 !

 

Objectifs de l’année :

  • Inventer et écrire des histoires ;
  • Apprendre du vocabulaire spécifique ;
  • Découvrir des aménagements urbains dans le monde (en lien avec un tour du monde abordé dans d’autres matières) ;
  • Développer des arguments, travailler en équipe ;
  • Imaginer une proposition pour son quartier ;
  • Présenter sa proposition, ses choix devant des élus.

 

Première étape : Contes du quartier, l’imaginaire en bas de chez soi

L’exposition produite en juin 2016 est affichée en décembre dans chaque classe en début de séance pour se remémorer la démarche menée l’an passé et marquer la continuité avec cette nouvelle année. Le message est clair : leur mission pour le quartier se poursuit !

 

Deuxième étape : Se mettre en scène

Les contes écrits et dessinés sont mis en scène dans les lieux où ils se déroulent. Des photographies sont prises. Puis un montage photo artisanal est réalisé en classe pour obtenir les illustrations finales de ces contes de quartier. Les histoires sont enregistrées. Un web-documentaire où l’on peut écouter les histoires en regardant les illustrations est visitable dès aujourd’hui ici !

 

Troisième étape : Mission d’architecte // S’inspirer

Une ville dessinée au tableau et une petite histoire font émerger les métiers de la ville (architecte, maçon, urbaniste, Maire…). Les enfants sont alors missionnés pour être les architectes des espaces publics du quartier Mermoz et conseiller la Mairie d’arrondissement et les chef.fe.s de projet urbain.

Pour chercher l’inspiration, les enfants partent en voyage photographique et découvrent des aires de jeux des plus rudimentaires aux plus époustouflantes réalisées dans le monde entier.

Une autre séance leur permet de découvrir et d’analyser des aires de jeux dans la Ville de Lyon, inconnues pour beaucoup : le parc Blandan, l’aire de jeu de la passerelle du collège et le parc de Gerland.

Dans les aire de jeux du monde comme de l’agglo les enfants concentrent leur analyse sur les actions possibles (tourner, sauter, glisser, rebondir….) et les matières (élastique, bois, métal, sable…) sous toutes les coutures.

Sur l’aire de jeux ils réalisent des croquis de ce qu’ils aiment et de leurs idées d’amélioration, ils partent en jeu de piste pour ne pas rater un détail du lieu et collectent des matières.

 

Quatrième étape : Mission d’architecte // Réaliser l’aire de jeu utopique, du croquis à la maquette

Pour faciliter le travail en commun et amener les enfants à enrichir leur projet des idées de chacun, le travail de réalisation se déroule en plusieurs étapes. D’abord une esquisse individuelle d’une aire de jeu idéale pour positionner toutes ses idées. Puis un plan collectif en groupe de 3 ou 4 pour garder les idées de chacun qui plaisent au groupe et les positionner. Enfin, les groupes d’architectes fabriquent leurs maquettes finales.

Dernier temps : invitation officielle pour présenter les projets d’architectes

Les 70 enfants sont invités par l’équipe projet de la Ville pour présenter leurs projets utopiques. La présentation a eu lieu le 23 juin dans une salle associative du quartier.

6 enfants issus de chaque classe ont présenté leur projet déroulé sur l’année. Toutes les maquettes étaient ensuite exposées avec les équipes d’architectes derrières prêts pour répondre à toutes les questions, à expliquer leurs choix de jeux, de mobilier, de revêtements de sols etc…

L’intérêt était de proposer un challenge aux enfants pour valoriser le travail qu’ils ont accompli sur une année. L’objectif était également de surprendre l’équipe projet par les idées originales et réfléchies des enfants.

[1] Sandrine Bonini et Audrey Spiry, Lotte, fille pirate, éditions Sarbacane, 2014

[1] Imaginer pour Grandir, entretien avec Paul L. Harris, 2004, disponible en ligne sur https://www.scienceshumaines.com/imaginer-pour-grandir-entretien-avec-paul-l-harris_fr_13621.html

[2] Sur ces questions nous nous référons notamment aux thèses de Marie Duru Bellat (Les inégalités sociales à l’école : Genèses et Mythes, 2002 ; 10 propositions pour changer l’école, 2015 avec François Dubet)

 

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